Wednesday 27 August 2014

Fleur Pellerin, l'anti-Filippetti Le Monde.fr | 27.08.2014 à 10h42

Fleur Pellerin,                                                                     l'anti-Filippetti                                              Le Monde.fr |


Fleur Pellerin dans la cour de l'Elysée, mercredi 27 août 2014.

Certains y ont vu la marque de l'humour féroce de François Hollande, et de son goût présumé pour le vaudeville : en remplaçant Aurélie Filippetti par sa rivale historique, Fleur Pellerin, au poste de ministre de la culture et de la communication, le chef de l'Etat n'a pas manqué de faire sourire ceux qui connaissent l'état passablement tendu des relations entre les deux femmes.

A tel point que la passation de pouvoirs, mardi 26 août au crépuscule, a donné l'impression aux cinéphiles de revoir l'une des séquences les plus haletantes du dernier Festival de Cannes – dans des rôles inversés. Avant la projection officielle de Saint Laurent, de Bertrand Bonello, le 17 mai, Aurélie Filippetti avait exigé d'êtrela seule ministre à monter les marches, obligeant Fleur Pellerin à rallier le Palais des festivals par l'entrée de service.
Le remake de la scène, sur le perron du ministère, fut à la hauteur des attentes des spectateurs : échange de sourires glacés, « bonne chance » lâché du bout des lèvres par une Aurélie Filippetti qui poussa l'impertinence jusqu'à ne pasconvier les directeurs d'administration à la cérémonie – du « jamais-vu ! », selon les habitués.
Lesquels font remonter l'inimitié entre Mmes Filippetti et Pellerin à la campagne présidentielle de 2012. La première, préposée à la culture, avait recadré par voie de presse la seconde, chargée des sujets numériques : « Sur Hadopi, c'est moi ! », avait fustigé la Lorraine, agacée que sa benjamine de quelques mois – elles sont toutes deux nées en 1973 – marche sur ses plates-bandes.
Aurélie Filippetti et Fleur Pellerin en avril 2013, lors de la visite des locaux de l'éditeur de jeux vidéo Quantic Dream.
Aurélie Filippetti et Fleur Pellerin en avril 2013, lors de la visite des locaux de l'éditeur de jeux vidéo Quantic Dream. | AFP/MARTIN BUREAU
Le duel se répétera à l'envi durant les gouvernements Ayrault et Valls, au sein desquels, si Mme Filippetti resta Rue de Valois, Mme Pellerin fut ministre déléguée à l'économie numérique puis, entre avril et août 2014, secrétaire d'Etat chargée du commerce extérieur. Oppositions frontales ou larvées jalonnent l'exercice de leurs activités, avec pour acmé l'inauguration de l'institut culturel Google, à Paris, à l'automne 2013. Soucieuse de maintenir de bonnes relations avec le géant américain, Mme Pellerin avait remplacé au pied levé Mme Filippetti, qui s'était désistée in extremis. Au point de lire, au mot près, le discours préparé par les équipes de sa consœur…
DEUX FACETTES ANTAGONISTES DE LA JEUNE GARDE SOCIALISTE
Politiquement, les deux femmes incarnent deux facettes antagonistes de la jeune garde socialiste. Par ses origines lorraines et ouvrières – son père était mineur et maire communiste –, Aurélie Filippetti s'inscrit dans la lignée du socialisme des origines, prolétaire et solidement implanté localement. Adoptée quelques mois après sa naissance en Corée du Sud, élevée en région parisienne, Fleur Pellerin s'est battue, notamment au sein du club XXIe siècle, pour que le PS se rapproche de la France dite de la « diversité ».
Plusieurs fois élue, passée par les Verts avant de rejoindre le PS sur le tard, MmeFilippetti n'avait guère l'oreille de François Hollande. Tout le contraire de MmePellerin. « Femme de dossiers », comme elle aime à se présenter, son profil très « techno » – diplômée de l'Essec, de Sciences-Po et de l'Ena, aucun mandat électif à ce jour – est prisé par l'Elysée. Ses collègues à la Cour des comptes, où elle a contrôlé de nombreux établissements culturels, du Centre Pompidou auCentre national du cinéma (CNC), se souviennent des autocollants « Le changement, c'est maintenant ! » qu'elle placardait sur la porte de son vestiaire.
Fleur Pellerin, en janvier 2012.
Fleur Pellerin, en janvier 2012. | AFP/FRED DUFOUR
Plume discrète de l'équipe de Lionel Jospin pendant la campagne de 2002, elle avait émergé durant celle de Ségolène Royal, cinq ans plus tard, où elle s'occupait des relations avec la presse spécialisée. Elle n'avait d'ailleurs pas hésité à faireentrer l'un des enfants prodiges de Mme Royal, le jeune et très connecté Aziz Ridouan, au sein de son cabinet à l'économie numérique.
Là où Aurélie Filippetti, normalienne altière et lyrique, jouait volontiers sur une corde malrassienne, émaillant discours et tribunes de citations d'Aragon, Fleur Pellerin semble suivre les traces pop et arc-en-ciel d'un Jack Lang, attentif à l'air du temps. Rouge à lèvres vif sur carré brun, germanophone, mère d'une petite fille résidant à Montreuil, elle écoute Shaka Ponk, duétise sur les plateaux TV avec Nolwenn Leroy et confesse un net penchant pour les séries américaines, de « Homeland » à « Game of Thrones » – se rêvant même en princesse Daenerys Targaryen, « une femme conquérante », confiait-elle il y a peu.
DEUX DOSSIERS EXPLOSIFS, AUDIOVISUEL ET INTERMITTENTS
Deux dossiers explosifs l'attendent sur son bureau. Elle est plutôt bien armée sur le premier : la réforme de l'audiovisuel français, remis en cause par les multinationales issues du numérique – l'arrivée de Netflix en France, le 15 septembre, obligeant à repenser les mécanismes de soutien à la création. Sa connaissance avisée du secteur, son habileté politicienne et son pragmatisme sont autant d'atouts.
Pascal Rogard, président de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, qui a pour mission de protéger les droits d'auteur, salue ainsi « un excellent choix, moderne et dynamique ». Sur Twitter, Jean-Paul Salomé, président d'Unifrance – organisme œuvrant pour la diffusion du cinéma français à l'étranger –, juge de son côté la ministre parfaite « pour recadrer les nouveaux entrants et renforcerl'international ».
Elle part avec davantage de handicaps sur l'autre point chaud de l'automne, la remise à plat du système d'aide aux intermittents du spectacle – une mission de concertation doit remettre ses conclusions à Manuel Valls d'ici décembre.
Aurélie Filippetti, Fleur Pellerin et David Cage, le 4 avril 2014.
Aurélie Filippetti, Fleur Pellerin et David Cage, le 4 avril 2014. | AFP/MARTIN BUREAU
Lors d'une question à l'Assemblée, en juin, Fleur Pellerin avait assuré que la nouvelle convention d'assurance chômage était « le fruit d'un dialogue socialresponsable », quand nombre d'intervenants avaient pointé le manque de représentativité des partenaires sociaux ayant signé le texte, le 22 mars. Les premières réactions, de côté-ci de la rue de Valois, sont à la mesure de la méfiance que suscite la nouvelle venue : « Ce qui compte à nos yeux est la politique qui sera menée – et nous avons beaucoup d'inquiétudes face à un gouvernement dont la politique d'austérité est renforcée », souligne ainsi Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT-Spectacle, qui déplore la baisse continue du budget de la culture depuis l'élection de M. Hollande.
Sur ce sujet-là comme sur les autres, Aurélie Filippetti avait subi, deux ans durant, le persiflage constant de son prédécesseur, Frédéric Mitterrand. Il n'est pas dit que Fleur Pellerin bénéficie longtemps du silence de celle qui, dès sa démission, se félicitait d'avoir retrouvé sa « liberté ».

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